Le « quiet quitting », cette « démission silencieuse » qui a tout d’une supercherie

La dernière notion à la mode serait, selon la presse, le « quiet quitting » ou, en français, la démission silencieuse. Celle-ci se manifesterait – horreur absolue – par le fait que les salariés font leur boulot, ni plus, ni moins. Autant dire que ça n’a rien à voir avec une démission ou même un manque d’attrait pour son travail, mais plutôt, après des décennies à devoir en faire toujours plus, d'une salutaire prise de conscience qui, si elle perdure, pourrait remettre à niveau les relations employés/employeurs.

Le monde du travail raffole du globish et autres anglicismes. Après le burn-out (le surmenage), le « big quitting » (la grande démission post-Covid) aux États-Unis, voici le fléau qui toucherait les salariés : le « quiet quitting ». Le dernier week-end d’août, son hashtag était en tendance sur Twitter et, selon le site québecois Noovo info, des millions de personnes auraient visionné des vidéos avec ce mot-clé sur TikTok.

Tout commence avec celle de Zaid Khan, un Américain qui, fin juillet, a posté une vidéo. On le voit, assis sur un banc à New-York, raconter qu’il a découvert le « quiet quitting » soit « le fait (…) d’abandonner l’idée de tout donner pour son travail ». Rien de plus banal finalement pour des esprits sains. Est-ce alors parce qu’elle a été visionnée plus de 3,4 millions de fois en quelques semaines qu’elle est montée en épingle ? Ouest France, Courrier international, des chroniques radios et télé… Tout le monde découvre cette nouvelle notion RH qui n’en est pas une. Car, en soi, l’idée du « quiet quitting » n’est rien d’autre que de faire son job et d’« arrêter de s’épuiser au travail », comme le note encore le site québécois.

D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, on raille cette fausse polémique qui voudrait faire passer les salariés pour des fumistes, alors qu’il ne s’agit que de répondre à ses obligations contractuelles. En réponse à Courrier international, plusieurs twittos se sont agacés, tel Herzatz Fish : « Faire le travail pour lequel on est payé ce n’est pas du quiet quitting. Vous avez été brainwash par des années de libéralisme. » Sous l’article de Ouest-France, Gally réagit : « Le grand capital veut faire culpabiliser les travailleurs en les qualifiant de démissionnaires lorsqu’ils refusent de faire plus que ce pour quoi ils sont rémunérés. » D’autres comme Fearnor émettent quelques suggestions en copiant la novlangue du management : « Peut-être que si les patrons pratiquaient le salaring augmentaring, les gens arrêteraient le quiet quitting. » Bref, personne n’est dupe de cette fausse tendance.

Reste que le monde du travail est bien en train de bouger. Le confinement et le Covid ont laissé des traces. Ils ont aussi permis à de nombreux salariés de prendre du recul sur la routine métro/boulot/dodo, et de plébisciter les entreprises où le télétravail se pratique plusieurs jours par semaine. Point commun de toutes ces nouvelles motivations : le besoin de concilier vie professionnelle et vie personnelle qui est prégnant chez les salariés. Le contrecoup de ces décennies de bourrage de crâne où il était de bon ton de rester toujours disponible pour son boss, d’enchaîner les réunions, et de travailler le soir ou le week-end.

Une pratique pas si facile à remettre en cause quand les autres salariés semblent tous obnubilés par l’idée de faire le plus de zèle possible, expliquait Paul Douard, auteur de Je cultive l’anti-ambition : « Pendant les premières années de ma vie professionnelle, j’étais systématiquement celui qui partait en premier le soir. À 18h01, mon bureau était vide et ce n’était pas toujours très bien vu. » Une pratique qui n’a pas empêché l’ex-journaliste pigiste de devenir rédacteur en chef du site Vice.

« Je ne pense pas que la quantité de travail que l’on fournit soit la garantie ultime d’obtenir ce que l’on veutOn sacrifie juste plus de soi et on risque plus gros. Pourquoi en arriver là alors qu’on peut se contenter de bien faire son boulot et d’être sympa ? Ça suffit, non ? Bien sûr, je ne dirais pas à quelqu’un qui bosse dans une usine de travailler “moins mais mieux”, je sais que cette logique ne s’applique pas à tous les jobs, mais elle est compatible avec beaucoup de métiers de bureau. En ce qui me concerne, j’ai eu de la chance car mon tout premier article pour Vice en tant que pigiste portait sur l’anti-ambition, j’avais écrit noir sur blanc que je détestais le travail et ça m’a valu d’être embauché par la suite. »

PAUL DOUARD POUR LE SITE WELCOME TO THE JUNGLE

Son interview d’une rare franchise sur le monde du travail mériterait d’être lue dans les écoles de management. Paul Douard ironise sur les overbookés et tous ceux qui sont toujours « sous l’eau »« super-occupés » ou encore sur un « gros projet ». Mais surtout, il relativise tous les concepts que quatre décennies au moins de néocapitalisme ont mis dans la tête des salariés : les objectifs débiles ou impossibles à atteindre « qui sont juste une carotte qui sert à motiver (certains) salariés » alors qu’« un travail reste un travail ».

Vit-on le début de la fin des ambitions professionnelles ? Et, devant la vaine réussite matérielle de leurs parents, les jeunes ont-ils envie d’échouer ? « Je ne vois même pas ce que l’on peut mettre derrière le mot “réussir” quand on est salarié. Tout donner pour ta boîte quand tu l’as créée, ok, mais le salariat : ça reste un contrat. Pourquoi en faire plus ? C’est comme si tu négociais pour acheter plus cher un produit que le prix affiché sur leboncoin », explique encore Paul Douard, dont le site qui explore pas mal de nos travers et tendances sociétales postait, il y a peu, un article au titre éloquent : « Il est temps de changer notre façon de travailler. » On ne saurait mieux dire. •

 

Source : https://charliehebdo.fr/2022/08/societe/le-quiet-quitting-cette-demission-silencieuse-qui-a-tout-dune-supercherie/

 



05/09/2022
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi



Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Espace de gestion