« Bore-out », un terme récent pour une pratique vieille comme le monde

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Le premier procès pour « bore-out » - une situation d'« ennui ayant conduit à l'épuisement au travail » - s'est tenu aux prud'hommes.

Une définition moderne de la placardisation.

On pourrait croire la placardisation désuète, improductive, notamment dans une conjoncture incertaine. C'est malheureusement l'inverse, en particulier dans les grandes organisations », pose d'emblée Audrey Ballu Gougeon, avocate à Rennes. Dans son cabinet, des salariés bénéficiant d'une rémunération enviable, mais déchargés de toutes responsabilités, sans rôle dans leur service. Difficile de récolter des chiffres mais, selon la dernière enquête Sumer, plus d'un salarié sur cinq serait victime de « comportement hostile ». D'après les médecins du travail, auteurs et interprètes de cette étude, cette hostilité prend différents visages : humiliations, objectifs inatteignables et mises au placard.

Fusions, restructurations et réorganisations

En majorité, ces « placardisés » sont des cadres à l'issue d'un parcours sans faute. Chefs de projets, directeurs des systèmes d'information, responsables de ventes, directeurs financiers, directeurs des ressources humaines et même des directeurs délégués exclus progressivement des réunions et des listings, mails.... Les réorganisations dues aux rachats d'entreprises, aux fusions et restructurations fournissent le terreau propice à cette mise à l'index. « La recherche d'économies d'échelle conduit à donner la préférence aux équipes de l'entreprise prédatrice, celle qui rachète ou qui absorbe », constate Stella Bisseuil, avocate à la cour de Toulouse. Les restructurations privilégient également les profils qui savent se rendre indispensables « sans oublier la prime au jeunisme ». Or, en droit français, si les textes soulignent l'obligation de fournir du travail, aucun ne permet d'agir sur l'organisation du travail. « Le recrutement demeure une prérogative de l'employeur », rappelle Stella Bisseuil.

Cible  : en majorité, des cadres

Les seniors constituent évidemment une frange de ces salariés ainsi que les femmes - en particulier au retour de congés maternité - mais les trentenaires n'échappent pas non plus au « bore-out ». En particulier ceux qui s'opposent à de nouvelles méthodes de management ou de reporting. « La placardisation traduit en fait une difficulté à clore un contrat de travail, l'entreprise et le salarié ne parvenant pas à faire cesser la relation par le biais d'une rupture conventionnelle ou d'une démission, le placard constitue une sorte de sas de transition  », relate Stella Bisseuil. L'entreprise - qui peut se payer ce luxe - joue la carte du pourrissement en espérant le départ volontaire du collaborateur. « Le placard trahit des enjeux financiers importants. Il est parfois moins onéreux de conserver un salarié inactif que de régler un chèque élevé, compte tenu de l'ancienneté. »

De façon structurelle, le désoeuvrement est aussi le lot régulier des consultants en période d'intercontrat. Les SSII et les grands du conseil, qui savent recruter - mais pas toujours gérer les compétences - peuvent garder au chaud certains talents rares, sans missions, engagés à prix d'or et bien trop chers à licencier. Et leur octroyer le temps nécessaire de se trouver un poste ailleurs.

Echec des processus d'entretiens

La mise au placard est pourtant une faute. Avéré, le fait est juridiquement reconnu comme une forme de harcèlement moral qui peut coûter très cher en termes d'indemnités compensatrices et d'images. Des affaires similaires à la SNCF, chez France Télévisions, Atos ou encore EDF ont été largement médiatisées.

Ces entreprises disposent pourtant de nombreux outils de résolution de conflits. A commencer par les relais que sont les responsables RH, les médecins du travail et les médiateurs, sauf qu'ils ne sont pas forcément informés des situations d'isolement. « Socialement, cette posture est difficile à assumer. Les salariés taisent leur situation, y compris vis-à-vis de leurs homologues en interne », constate Audrey Ballu-Gougeon « Dans de rares cas, ils s'en arrangent. »

Les entretiens annuels et ceux de carrière échouent également à remplir leur vocation initiale. « Les processus sont exécutés pour les managés, mais pour les managers, les obligations sont assouplies. L'entourage hiérarchique ferme les yeux au bon moment, face aux incompatibilités relationnelles qui sont souvent la cause du bore-out », révèle le DRH d'un groupe de transport.

Cafouillages managériaux

A l'heure où les entreprises font de la gestion des carrières et des talents leur principal leitmotiv, la multiplication des situations de « bore-out » révèle surtout d'importants dysfonctionnements managériaux. « L'entreprise peine à anticiper l'évolution des organigrammes, car son sujet, c'est l'immédiateté, la réponse au marché. Les lendemains ne font pas partie du spectre. Au besoin, elle saura toujours recruter les ressources nécessaires », reconnaît ce DRH qui renvoie l'employabilité à la responsabilité individuelle. « Chaque salarié dispose d'un cycle de vie. Il est aussi de son ressort de se remettre en question, de sentir le vent du changement et de soigner ses réseaux pour rebondir le cas échéant », approuve Bénédicte Haubold, présidentefondatrice d'Artelie Conseil.

Le placard permet de temporiser certaines situations, mais les choses pourraient changer. Le procès qui a mis en cause, début mai, Interparfums, pour avoir mis à l'écart puis licencié abusivement son ancien responsable des services généraux, pourrait ouvrir la voie à la reconnaissance du « bore-out » comme une maladie professionnelle. Jusqu'ici, plus de 240 arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation portant sur des faits de mise au placard ou de déshérence professionnelle intentionnelles ont été rendus. Jugement en juillet prochain.


Source : http://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/harcelement-au-travail/021956615643-bore-out-un-terme-recent-pour-une-pratique-vieille-comme-le-monde-210889.php#xtor=CS1-60




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