N’hypothéquons pas l’avenir de nos assurances sociales en leur faisant supporter une « dette COVID »

N’hypothéquons pas l’avenir de nos assurances sociales en leur faisant supporter une « dette COVID »

 

  • MICHAËL ZEMMOUR

    Texte initialement paru dans Le Monde le 26/05/2020

Pour faire face à la crise, la Sécurité sociale et l’UNEDIC ont été heureusement mobilisées par le gouvernement comme les instruments principaux de l’intervention d’urgence de l’Etat. Mais ce 25 mai le gouvernement présente dans les caisses d’assurances sociales un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire visant à constituer les dépenses exceptionnelles de la Sécurité sociale en « dette sociale », via un transfert à la CADES. De même les dépenses exceptionnelles de l’assurance chômage serait conservées au passif de l’UNEDIC. Une telle décision hypothéquerait l’avenir de nos assurances sociales en leur faisant supporter inutilement cette « dette COVID » dont elles ne sont pas responsables et qui pourrait être plus habilement gérée par l’Etat.

Dès le début du mois de mars, le gouvernement, a largement mis à contribution les assurances sociales. Côté dépenses d’abord : la Sécurité sociale a supporté les congés maladie pour les personnes fragiles et les congés de garde d’enfant, en plus des dépenses de soin et des congés maladie pour les personnes directement affectées par l’épidémie ; l’assurance chômage a pris en charge le maintien des chômeurs en fin de droit, l’afflux de nouveaux chômeurs, mais surtout un tiers des dépenses de l’activité partielle. Côté recettes ensuite, les assurances sociales ont dû supporter non seulement la baisse de leurs recettes (du fait de la récession), mais aussi le report (qui pourrait vite devenir un abandon au moins partiel) des cotisations sociales, qui a constitué un levier d’aide directe aux entreprises en soulageant leur trésorerie.

Mais l’annonce que ces dépenses ne feront pas l’objet d’une compensation par l’Etat et que cette « dette COVID » serait transformée en dette sociale est à la fois inquiétante pour l’avenir de la protection sociale, et au fond assez injustifiée.

Inquiétante, car, comme le souligne la dernière note du Haut conseil au financement de la protection sociale, la dette de l’Etat et la dette sociale ne sont pas du tout gérées de la même manière. En effet la dette sociale a vocation à être remboursées « intérêt et principal ». C’est d’ailleurs dans cette logique qu’a été mise en place en 1996 la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), afin d’« amortir » (c’est-à-dire d’éteindre) la dette stockée par la CADES. La dette de l’Etat elle, est gérée à très long terme : l’Etat n’en supporte que les intérêts, et réemprunte indéfiniment le principal (dont le poids relatif diminue dès lors que la croissance est supérieure au taux d’emprunt), ce qu’on appelle « faire rouler la dette ». Les emprunts d’Etat, ont par ailleurs des taux plus faibles (voir cet article de R. Godin pour médiapart) et  peuvent de plus avoir une maturité bien plus longue que la dette sociale ce qui permet de sécuriser pour longtemps des taux d’intérêts très bas.

Autrement dit, si nous constituons en 2020 plus d’une centaine de milliards d’euros de dette « sociale », portée par la CADES et l’UNEDIC, cela signifie que pour une décennie supplémentaire, des ressources sociales (issues notamment de la CSG et de la CRDS et des cotisations chômage) de l’ordre d’une dizaine de milliards devront être consacrées chaque année au remboursement de cette dette et non à répondre aux besoins sociaux. A l’inverse, si l’Etat prend en charge cette « dette COVID », il lui en coûtera de l’ordre d’1 Md par an (les intérêts seuls) et cette dette pourra être gérée comme une dette exceptionnelle, appuyé en cela par la politique monétaire non conventionnelle de la BCE.

Sur le fond, faire de cette « dette COVID » une dette sociale est également difficile à justifier. Car si l’Etat s’est bien servi de dispositifs des assurances sociales existants et activables sans délai il est évident qu’il les a détournés de leurs usages ordinaires. Par exemple, la prise en charge d’un tiers de l’activité partielle par l’UNEDIC reconduit des conventions anciennes qui étaient destinées à aider ponctuellement une entreprise ou un secteur, pas à se substituer au paiement des salaires de millions de salariés durant deux mois. De même les annulations de cotisations sociales que l’Etat va certainement accorder aux entreprises et secteurs en difficulté sont une aide de l’Etat qui devrait être compensée aux assurances sociales, comme sont compensées l’essentiel des exonérations existantes, respectant ainsi l’autonomie des comptes sociaux. En somme, ces mesures –et les mesures à venir-, ne relèvent pas du fonctionnement routinier des assurances sociales, mais sont bien la version française des mesures exceptionnelles prises par les Etat qui ont lieu dans tous les pays de l’OCDE, et il serait logique de les financer comme telles.

Dans les mois et années qui viennent, la protection sociale française va faire face à de nombreux défis. Les recettes sociales vont être durablement affectées par la récession. Dans le même temps, les besoins de protection sociale vont augmenter de manière prévisible :  les besoins de maintien du revenu via l’assurance chômage ou les retraites, les besoins de soins, via le déploiement de suffisamment de personnel qualifié et correctement payé dans les EPHAD et les structures hospitalières augmenteront en toute hypothèse plus vite que la croissance. Dans une société qui risque d’être durablement appauvrie, il faudra décider si nous souhaitons restreindre notre sécurité sociale, comme cela a été imposé aux pays d’Europe du Sud, et dans une moindre mesure à la France après la crise de 2008, ou si nous souhaitons collectivement augmenter la part du revenu et de la production consacrée à cette protection, considérée comme un besoin primordial.

Il serait sage de ne pas hypothéquer par avance ce débat par la constitution d’un fardeau financier pour la protection sociale, alors qu’il serait à la fois logique et stratégique de confier cette dette à l’Etat.

Epilogue (04/06/2020): les déclarations récentes par M. Darmanin, ministre du Budget du déficit de la Sécurité sociale, loin d'être rassurante, s'inscrit typiquement dans les stratégies de dramatisation des déficit, pour justifier de futures mesures d'économie.

 

Sources : https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2020/06/04/n-hypothequons-pas-l-avenir-de-nos-assurances-sociales-en-leur-faisant-supporter-une-dette-covid

 



16/06/2020
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