France Travail : "Nous ne nous inscrivons pas dans une idée de fusion dans un opérateur unique"

France Travail : "Nous ne nous inscrivons pas dans une idée de fusion dans un opérateur unique" (Thibaut Guilluy)

Par Sophie MASSIEU   

 

Publiée le 22/09/2022

 

Choisi par le gouvernement le 12 septembre 2022 pour diriger la mission de préfiguration de France Travail, le haut-commissaire à l’Emploi et à l’Engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, reçoit pour la première fois l’ensemble des parties prenantes avec le ministre du Travail, Olivier Dussopt, le 23 septembre. L’occasion de leur présenter objectifs et méthode. À commencer par trois impératifs qu’il détaille dans une interview à AEF info : toutes les personnes en recherche d’emploi devront être identifiées par ce guichet unique que deviendra France Travail, un partage des données devra être bâti entre tous les acteurs de l’accompagnement social et professionnel, et la gouvernance doit faire l’objet d’une clarification mais pas d’un "big bang des compétences" des acteurs impliqués.

 

AEF info : L’un des objectifs qui préside à la création de France Travail tient à une meilleure coordination des acteurs de l’emploi. Comment passer de l’intention à la concrétisation ?

Thibaut Guilluy : Au départ, s’impose un constat. Sur l’ensemble du territoire, dans toutes les entreprises, existent des tensions et des difficultés de recrutement. Et dans le même temps, on compte toujours un grand nombre de personnes sans emploi, qu’ils soient ou non inscrits sur les listes de Pôle emploi. Ce qui crée de la désespérance, et des incompréhensions, et a un mauvais impact social et économique. Donc la question est en effet de voir comment, demain, on répond mieux aux attentes des employeurs, pour mieux les aider à recruter, et comment on offre à la personne en recherche d’emploi un accompagnement personnalisé à 360 degrés.

Pas une personne ne doit se voir privée de l’accompagnement dont elle a besoin, en fonction de son projet, de sa situation. Nous devons assumer l’exhaustivité. Nous ne manquons pas de moyens en matière d’accompagnement vers l’emploi. Pas plus que d’acteurs, de bonnes volontés. Mais le système est peu lisible et parfois peu efficace. Les personnes se perdent dans le maquis.

 

"Il n’est pas question de retirer aux départements leurs compétences en matière d’insertion, mais d’opérer un diagnostic en commun"

 

AEF info : Donc, concrètement, comment pensez-vous simplifier le schéma ?

Thibaut Guilluy : Ce ne sera pas facile et je n’ai pas de baguette magique. Mais on va s’appuyer sur trois impératifs. On pourra discuter des modalités mais ces trois points sont incontournables. D’abord, guichet unique, France Travail devra prendre en charge le diagnostic et l’orientation de toutes les personnes sans emploi. Au lieu de cela, aujourd’hui, par exemple, seuls 40 % des bénéficiaires du RSA sont inscrits à Pôle emploi. De même, les travailleurs handicapés s’adressent plus souvent aux maisons départementales des personnes handicapées. Demain, 100 % de ces personnes doivent être repérées par le service public de l’emploi. Sans quoi, on ne tient pas bien compte de leur potentiel, on se centre uniquement sur leurs difficultés. Donc 100 % des personnes doivent être identifiées de façon centralisée. Ensuite, on réalise le diagnostic de leur situation. Il n’est pas question de retirer aux départements leurs compétences en matière d’insertion, mais d’opérer un diagnostic en commun.

Avec le même outil, un process identique et en partageant la donnée avec les uns et les autres. Donc le premier impératif, c’est ce diagnostic et cette orientation communs et partagé.

 

AEF info : Et le deuxième ?

Thibaut Guilluy : La mise en place de systèmes d’information connectés pour mettre au point le partage des données. Seul l’opérateur de l’État peut organiser cela pour tout le monde. Il faut que le pouvoir de décision se trouve au plus près de la personne. Cette proximité nécessite cette hyperconcentration dans un outil commun. Sans système d’information connecté, les acteurs ne pourront pas travailler ensemble. Après de quelle façon procéder ? Cela doit-il être contenu dans un seul outil, ou passer par des outils connectés ? Ça, ça relève de la concertation.

 

AEF info : Quel est votre troisième impératif ?

Thibaut Guilluy : La clarification des gouvernances. Nous ne nous inscrivons pas dans une logique du big bang des compétences, pas plus que dans une idée de fusion, d’absorption dans un opérateur unique. Mais de coordination et d’animation des acteurs. Pas de façon molle toutefois. Mais au contraire avec des principes d’action communs et clairs pour tout le monde. Aujourd’hui, notre système est trop descendant. Tout est décidé par l’État, redescend à la région, puis au département… Résultat ? La personne n’est pas du tout au centre. Il convient d’inverser la dynamique de la gouvernance avec un principe de subsidiarité. Cela redonnera une capacité d’agir à tous.

 

RSA : "La question des 15 à 20 heures d’activité, c’est une philosophie, pas un carcan"

 

AEF info : Pour tenir l’objectif de 100 % de personnes accompagnées, quels nouveaux moyens financiers prévoyez-vous ?

Thibaut Guilluy : Dès novembre, nous allons mener des expérimentations dans dix territoires pilotes. Elles vont nous permettre de chiffrer cet accompagnement de 100 % des personnes en recherche d’emploi. Nous allons commencer par les bénéficiaires du RSA. La question des 15 à 20 heures d’activité, c’est une philosophie, pas un carcan. Cela doit permettre à chacun de s’engager dans un parcours qui va le sortir de la nasse. Et cet accompagnement de tous, c’est un investissement social.

Bien sûr, le suivi exhaustif nécessitera des équivalents temps plein supplémentaires. Mais le coût sera en partie compensé si le taux de sortie mensuel du RSA se rapproche de celui des demandeurs d’emploi. Les organisations diverses des territoires qui ont expérimenté le service public de l’insertion et de l’emploi vont nous permettre de regarder ce qui fonctionne le mieux. À Pôle emploi l’accompagnement vers le travail, aux départements l’accompagnement social. Et il nous faut voir comment réaliser l’accompagnement global, dans une logique de conférence des financeurs.

 

AEF info : Dans ce cadre, quels doivent être la place de l’Unédic et le rôle de l’assurance chômage ?

Thibaut Guilluy : J’ai tendance à penser que la place de l’Unédic doit être grande. Mais la question est ouverte. Si l’Unédic était associée aux décisions de Pôle emploi, il y aurait une forme d’alignement intéressant. Tout ça dans une dynamique d’investissement social. Si on parvient à démontrer qu’en les accompagnant mieux, les demandeurs d’emploi restent moins au chômage, cela générera davantage de cotisations et donnera à l’Unédic plus de moyens. La question de l’articulation est posée, des discussions doivent avoir lieu, avec l’Unédic, Pôle emploi, les partenaires sociaux.

 

AEF info : Vous réunissez les parties prenantes vendredi 23 septembre. Qu’attendez-vous de ce premier tour de table ?

Thibaut Guilluy : Nous présenterons les objectifs, les sujets clés à traiter et la façon dont on propose de procéder. Si on arrive à créer de la confiance, cela va avancer.

 

"Il est bien sûr évident que les régions soient embarquées. Mais pas dans une logique de régionalisation du service public de l’emploi"

 

AEF info : Certains acteurs se montrent assez offensifs… À l’image des régions, qui aimeraient bien décrocher le pilotage du service public de l’emploi. Quel doit être leur rôle selon vous ?

Thibaut Guilluy : Si les régions expriment leur frustration vis-à-vis d’un système qui ne fonctionne pas, nous la partageons. Elles sont légitimes pour que France Travail fonctionne. D’autant qu’il doit être tant au service des personnes que des entreprises, qui créent les emplois. Donc il est bien sûr évident que les régions soient embarquées. Mais pas dans une logique de régionalisation du service public de l’emploi. Nous devons en revanche leur donner plus d’informations, par exemple pour qu’elles décident de façon plus éclairée de leurs budgets de formation.

 

AEF info : Comment se traduira la création de France Travail sur le plan législatif ?

Thibaut Guilluy : Il faudra une loi sur l’orientation et le diagnostic. Mais le droit à l’accompagnement pour tous existe déjà par exemple. Olivier Dussopt ne veut pas à tout prix un grand texte de loi. Ce qu’il attend en revanche, c’est que France Travail fonctionne !

 

 



29/09/2022
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